Présent, au lancement des activités de l’Ong Actions Citoyennes pour une Gouvernance participative (ACGP), professeur Simon-Narcisse TOMETY, Institutionnaliste et parrain de l’événement a non seulement fait l’état des lieux en ce concerne le chantier de l’éducation à la citoyenneté, mais aussi montré la pertinence de ce combat pour aboutir à un idéal et également prodigué de sages conseils aux membres et initiateurs de ladite Ong. L’intégralité de son message.
ACTIONS CITOYENNES POUR UNE GOUVERNANCE PARTICIPATIVE (ACGP)
Allocution de parrainage par Simon-Narcisse TOMETY
Samedi 10 février 2024 Chant d’oiseau, Cotonou
Mesdames, Messieurs
C’est avec une conscience du devoir que je parraine ce jour la première sortie événementielle de l’ONG ACTIONS CITOYENNES POUR UNE GOUVERNANCE PARTICIPATIVE (ACGP). Je devine en cet instant le poids de mes propos, leur interprétation, leur valorisation et leur perte de charge à divers niveaux. Se pose à moi une seule question d’engagement contractuel : est-ce que mon allocution parviendra-t-elle à combler vos attentes, à toucher vos cœurs et à vous rendre davantage sensibles pour vous engager méthodiquement dans des actions citoyennes qui traduiront au Bénin le renouveau de la gouvernance participative ? S’il y a un vœu que je dois former à l’entame de mon propos pour votre ONG, il ne peut qu’être celui du laboureur et ses enfants de Jean de la Fontaine. Pour lui, ce qui doit être caché et à découvrir comme un trésor c’est le travail, j’entends « le bonheur de servir », ce remarquable titre d’un ouvrage du professeur Albert Tévoédjrè qui lâche à la page 38 une position sage que je me dois de partager avec vous : « J’ai en horreur l’humiliation de l’homme par l’homme, le mépris des autres, l’esclavage d’hier ou d’aujourd’hui et toutes les formes de servitudes. Je recherche les mots et toutes les expressions de révolte qui rendent justice aux plus faibles. » En effet, tout dans l’existence humaine doit reposer sur l’éthique car elle seule constitue notre vraie assurance-vie de la naissance à la mort.Votre ONG ne doit pas choisir le camp des forts mais elle doit être une ONG d’essence patriotique et d’interface pour des actions de plaidoyer au profit des faibles. C’est à ce prix que l’histoire du Bénin retiendra votre ONG comme l’une des meilleures ayant contribué efficacement à ouvrir les yeux, les oreilles, le cœur et les bras à chaque enfant de ce pays en allumant son cerveau pour devenir un citoyen responsable capable de prendre la parole en public tant pour encourager que pour dénoncer ce qui doit l’être avec des propositions pour faire progresser la société. Soyez à ce titre une stimulatrice de l’opinion publique.Mesdames et MessieursSachons que le monde entier vit un déclin dangereux des valeurs faisant l’éloge de l’immoralité, de l’hypocrisie et de la tolérance du mal. Le vivre-ensemble est partout menacé par des rapports de force qui escaladent le mur de l’éthique : le sacré est désacralisé, la prédation des deniers publics est permise, le mensonge nuisible est toléré, la méfiance est exacerbée et l’homme fuit l’homme pour ne pas être une proie facile des prédateurs de la jungle. La devise nationale est juste un assemblage de mots sans valeur, l’hymne national n’émeut que dans les stades de football au prix d’un chauvinisme. Sommes-nous prêts à opérer un vrai changement ? A cette question, j’emprunte à Hippocrate, l’une de ses plus grandes sagesses lumineuses : « Avant de chercher à guérir quelqu’un, demandez-lui s’il est prêt à renoncer aux choses qui l’ont rendu malade ». C’est parce que l’Afrique est malade que les armes refusent de se taire, que le Bénin n’est pas capable d’être gouverné sur la base d’un contenu programmatique de sa devise nationale de 1960 à 2024 : que sont devenus la fraternité, la justice et le travail ?Le Bénin, notre patrie commune est un pays de compétition et des rapports de force. Tous les problèmes du Bénin que nous rencontrons trouvent leurs justifications dans ce profil mental et comportemental. Les Libanais, les Pakistanais, les Chinois et les Occidentaux sont plus épanouis au Bénin que les Béninois d’origine vivant au Bénin parce que les dirigeants béninois de toutes les époques sont plus à l’aise dans leurs affaires personnelles avec ces derniers qu’entre Béninois, du fait qu’ils craignent toujours une fuite d’informations sur leurs jardins secrets et faussetés. Mais qui trahit qui en définitive et sur la base de quelle moralité ? Nous devons nous guérir de nos hypocrisies pour rendre possible le vivre-ensemble entre nous-mêmes. On ne devient pas une nation forte par la méfiance érigée en valeur de civilisation entre les enfants d’un même pays. Ce que veut le peuple, Dieu l’accorde à ceux qui servent un tel peuple et non à ceux qui se servent avant le peuple ou qui se servent du peuple. En cela, l’éducation à la citoyenneté a été abandonnée au Bénin et pourtant, elle est le fondement de toute bonne gouvernance. Elle traite des quatre dimensions du pouvoir du peuple dont : la première est la traduction de la volonté du peuple (ce que veut le peuple) ;la seconde ponctue la souveraineté du peuple (ce que décide le peuple) ;la troisième interpelle sur le gouvernement du peuple (ce que les dirigeants élus et nommés, civils et militaire, ont reçu comme missions au nom du peuple pour interagir avec lui dans le cadre d’une gouvernance inclusive) et au titre duquel ils lui sont redevables et sanctionnables ;la quatrième statue sur la satisfaction ou l’insatisfaction du peuple de l’offre de services publics de différents domaines de la sécurité humaine (ce que ressent le peuple comme fierté locale par la solidarité nationale) et vise la sécurité alimentaire, la sécurité d’accès à l’eau potable, la sécurité de l’offre éducative, la sécurité sanitaire, la sécurité de l’emploi et des revenus, la sécurité environnementale et du cadre de vie, la sécurité productive basée sur la domestication des chaînes de valeur, la sécurité physique et la sécurité juridique. Lorsque les conditions institutionnelles d’une démocratie participative ne sont pas réunies dans l’organisation et le fonctionnement de l’État, ces dimensions du pouvoir du peuple sont vouées aux gémonies alors la volonté de mentir au peuple est plus forte que la volonté de lui dire la vérité. Comme le dit si bien un adage, “la sincérité est une chaise inconfortable sur laquelle peu de gens sont prêts à s’asseoir” et François Bayrou a raison de considérer que “le peuple a besoin de vérité, la politique a besoin de valeur.” Pour ainsi dire, la politique ne s’épanouit guère dans la démagogie et le rôle d’une société civile est bien celui d’éveilleuse des consciences collectives d’un peuple. Autrement dit, nos principes de vie déterminent notre hygiène de vie et façonnent notre degré de liberté et d’attachement à l’éthique qui est la seule façon d’être conséquent avec soi-même et véridique envers la société. Sans éthique, la loi n’existe pas pour la société car c’est l’éthique qui détermine les seuils non franchissables des permissions, des restrictions et des interdictions constituant les valeurs humaines.
Mesdames et Messieurs
Comme chacun peut l’observer, l’administration béninoise, les partis politiques et le monde des affaires s’interpénètrent pour constituer le marché commun de compromissions et de prédations (MCCP) qui a toujours incarné le mal développement donc l’appauvrissement continue des pauvres et l’enrichissement sécurisé des riches. Pour ainsi dire, la culture administrative au Bénin demeure de type malfaiteur et la nature du régime politique détermine les types d’hommes et de femmes qui produisent les lois qui régissent le fonctionnement de la société. Il n’est pas excessif d’affirmer que le fonctionnement de ces partis est loin d’être démocratique sinon beaucoup de Béninois iraient faire éclore leur vie militante en s’inscrivant massivement dans ces partis pour s’initier à la gouvernance participative. Notre classe politique n’est pas capable de produire de la citoyenneté responsable, les politiciens et l’administration sont trop affairistes, le milieu des affaires est trop politique. J’insiste pour dire qu’il n’existe pas de patriotisme ou l’amour de la patrie là où l’éthique est en berne. Lorsque la chaîne de production des lois et la chaîne décisionnelle de l’Etat qui sont les socles des politiques publiques fonctionnent sans participation du peuple, se pose un problème d’abus de pouvoir car sans le dialogue avec un peuple pour cerner ses vrais besoins pour un contrat social des demandes, aucun peuple ne peut facilement se reconnaître dans les actions publiques qui ne parviennent pas à muter en actions citoyennes. C’est pourquoi depuis bientôt deux décennies, est définie dans le monde une méthodologie de gouvernance participative de toute action publique appelée « Analyse d’Impact de la Réglementation » (AIR). La dénomination de votre ONG s’inscrit à merveille dans cette méthodologie car trop de politiques, programmes, projets et réformes échouent avec d’énormes gaspillages de ressources faute d’AIR. Les actions citoyennes pour et par la gouvernance participative constituent la meilleure façon de promouvoir une bonne relation empreinte d’écoute entre l’Etat, le peuple et chaque citoyen car la transparence dans la gouvernance publique crée et entretient la confiance. Cela n’est possible que si le secteur public, le secteur privé et la société civile cheminent ensemble dans la définition, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques publiques dans notre pays. Ayant été souvent à la périphérie du système partisan au Bénin, je me dois aussi de vous faire une confidence découlant des leçons apprises de mon long apprentissage tant de ce milieu, des administrations publiques que des organisations de la société civile. Permettez que je vivifie nos souvenirs par un témoignage extrait de l’allocution de prise de fonction le 7 mai 1972 du Président Justin Tomètin Ahomadégbé, Président du Conseil présidentiel du Dahomey. Il a recadré ce que doit être l’autorité de l’État et la gouvernance publique en ces termes : « Que l’on nous entende bien. Restaurer l’autorité de l’État, ce n’est pas supprimer les libertés individuelles. […] Respecter l’autorité de l’État, […] c’est s’abstenir de tout acte, de tout propos, qui soit de nature à saper les bases de cette autorité ; c’est accepter, sans contrainte, d’exécuter les ordres justes qui sont donnés au nom de l’État ; c’est éviter d’entraver l’exécution de ces ordres, c’est s’efforcer d’avoir un comportement qui fasse honneur à son pays ; c’est avoir le sens des responsabilités en ne se livrant pas à des activités génératrices d’anarchie. Respecter l’autorité de l’État, c’est enfin reconnaître que les décisions de l’État s’imposent à tous les corps constitués de la Nation et qu’aucun de ces corps, fût-il régi par un statut particulier, ne peut s’en prévaloir pour constituer un État dans l’État ; c’est reconnaître que la raison d’État est au-dessus de tout. Aussi, nous n’accepterons jamais l’émiettement du pouvoir. » Je souhaite vivement que cette position du Président Ahomadégbé puisse inspirer votre ONG afin de vous élever dans le leadership associatif car la bonne réputation d’une organisation fait son influence. C’est pourquoi à chaque occasion, j’essaye d’être un relayeur du concept de la discipline tel que Brunetière l’expose dans sa célèbre conférence du 26 avril 1899 sur la Nation et l’Armée : « La discipline c’est l’apprentissage de la solidarité ». Allons à cette école car tout peuple aspire à devenir une nation par une communauté de destin. Dans son ouvrage intitulé « L’école des chefs » publié en janvier 1955, Gaston Courtois donne des précisions très utiles sur l’obéissance car sans règles communes, sans valeurs partagées et sans principes harmonisés pour la conduite collective, il n’y a point d’autorité. Selon Courtois, « l’obéissance, loin d’abaisser l’homme, l’élève, car elle lui permet de servir efficacement à sa place la communauté humaine dont il est fait partie. Et quand cet homme est un chef, quel que soit son échelon dans la hiérarchie, elle le grandit en le faisant apparaître comme le détenteur de cette parcelle d’autorité qu’il a reçu du supérieur, au nom de qui il peut d’autant mieux commander que par son obéissance. » Le chef suprême n’est pas le président de la république, c’est le peuple qui reste l’employeur, qui donne les moyens humains et matériels pour les politiques publiques y compris le système normatif par lequel le peuple lui-même se soumet au contrat social de développement. Dès lors aucun chef ne doit se placer au-dessus du peuple ou chercher à contourner des lois sous prétexte d’être une personne élue par le peuple ou nommée au nom du peuple. Un grand chef c’est celui qui sait faire plus grand son peuple. Les défis à relever au Bénin en matière de gouvernance participative sont énormes du fait que nous constituons une société dominée par la méfiance mais une inversion de tendance est possible si nous le voulons. En effet, quand on recherche le pouvoir d’Etat, on admet que le pouvoir du peuple est une échelle incontournable pour accéder au sommet de la pyramide de Maslow encore appelé la pyramide des besoins, alors les politiciens trouvent dans leurs imaginaires des arguments flatteurs et autres stratagèmes pour démontrer que le peuple est discipliné. Et quand ils ont déjà accédé au pouvoir d’Etat et sont en position d’exercer ce pouvoir au moyen des instruments de production de la légitime violence avec le budget général de l’Etat en main, ce peuple post-électoral devient alors un peuple indiscipliné et les dirigeants politiques et administratifs n’ont plus le temps de gouverner avec ce peuple indiscipliné. Ceci dit, la nature du régime politique d’un pays détermine le mode d’organisation des relations entre les dirigeants publics et la société civile ainsi que le système économique qui gouverne la vie quotidienne du peuple. Il est important de souligner qu’on peut dissoudre un Etat par des réformes publiques mais l’Etat le plus éclairé ou le plus malveillant est incapable de dissoudre un peuple par la loi et par les fraudes électorales. Le pouvoir du peuple est plus puissant que le pouvoir suprématiste de l’argent et le pouvoir d’Etat avec ses lois dérivées. Le vrai problème des Etats africains, c’est ce qu’on appelle la tragédie des communs par laquelle l’Etat, les individus et leurs groupes d’appartenance abusent du bien commun : ce qui appartient à tous n’est la propriété de personne et on peut le dégrader, chacun peut aller s’en servir les uns avec une cuillère, les autres au moyen d’une pelle et les plus ingénieux en roublardise avec une pelleteuse.Face à ces dérives, le rôle de la démocratie participative est de prévenir, de limiter et de combattre tous ces abus car là où prospère tout abus, la loi est contournée ou inadaptée et l’éthique qui est une barrière de protection de la loi et des valeurs est escaladée en toute impunité. Nous vivons une époque de crise systémique des valeurs, des vocations, des serments et des déontologies par une remise cause du symbolisme et de la parole donnée, parfois par des rétropédalages sans évaluation préalable pour situer les responsabilités pour ne plus retomber dans les mêmes travers ou erreurs. C’est cette lutte d’interpellation qu’une ONG comme la vôtre doit inscrire sans les priorités de ses actions citoyennes de plaidoyer, mais pourquoi ? Dans nos traditions africaines, la sagesse nous enseigne que tout homme est un être de symbole quels que soient son sexe, son âge, son rang social, sa profession et son bassin de vie d’où la dignité humaine est constitutionnalisée dans tous nos pays. La participation citoyenne à la gouvernance publique d’un pays n’est pas un acte de mendicité institutionnelle ou une faveur d’un régime politique, elle découle de ce que le professeur Joseph Ki Zerbo dans son ouvrage « A quand l’Afrique » a appelé le Débat Permanent Africain dans toutes les civilisations africaines héritées de l’histoire bien avant le gros mensonge des élites africaines qui attribuent la démocratie à l’occident via Athènes. Au début du XIIIe siècle, à l’issue d’une grande victoire militaire, le fondateur de l’Empire mandingue et l’assemblée de ses « hommes de tête » ont proclamé à Kouroukan Fouga la « Charte du Mandén nouveau » qui est l’une des plus anciennes constitutions au monde même si elle n’existe que sous forme orale. Le préambule et les sept chapitres de cette charte prône notamment la paix sociale dans la diversité, l’inviolabilité de la personne humaine, l’éducation, l’intégrité de la patrie, la sécurité alimentaire, l’abolition de l’esclavage par razzia, la liberté d’expression et d’entreprise. Votre rôle en tant qu’ONG c’est aussi de travailler sur le patrimoine immatériel qui concourt à la détection et à la promotion des valeurs par l’éducation à la citoyenneté pour préserver et prolonger la mémoire collective dans ce long chemin de la construction de l’unité nationale au-delà des mots et des belles paroles. La citoyenneté sans le droit de vote est une servitude inacceptable. C’est pourquoi, le bulletin de vote est un pouvoir sacré dont dispose chaque citoyen et servant de capteur des comportements et des réalisations des engagements des dirigeants dont la vocation est de sanctionner tout régime politique qu’il soit démocratique ou autocratique. Ce qui suppose que le peuple soit bien éduqué et éveillé sur ses droits et devoirs, qu’il n’est pas corrompu afin de veiller à ce que les dirigeants ne tripatouillent pas les listes électorales et les résultats des suffrages exprimés par la mise en place d’une ingénierie de la fraude qui se substituent indignement à la souveraineté du peuple et du libre choix de chaque citoyen. Nous ne devons plus banaliser les enquêtes de moralité et les déclarations de patrimoines pour les personnes nommées ou élues aux hautes charges de l’Etat. Il n’y a point de bonne gouvernance sans ses préalables citoyens.Aucun pays ne se développe par des combats de personnes car seuls les combats d’idées font progresser par le dialogue, l’homme, la science et les politiques publiques ainsi que les lois qui les portent. Aucun homme ne s’épanouit par l’endoctrinement, la liberté de l’esprit et de la parole dans la responsabilité sont d’une utilité sociétale qui renforce le Nexus Paix – Sécurité – Développement. Aucun pays ne se développe dans la servitude culturelle, autrement dit. C’est là, toute la pertinence de la réflexion de Cheikh ANTA DIOP qui considère que « l’ignorance de l’histoire de son peuple est une forme de servitude. »
Mesdames et Messieurs
J’ai démissionné de la fonction publique en 1995 en faisant mes adieux sans demander un centime de mes droits après 18 ans de carrière dans la fonction publique. Cet adieu traduisait un ras-le-bol et une révolte personnel face aux injustices que j’observais dans le comportement des hauts cadres mais qui sont en fait de bas cadres en éthique. Beaucoup vivent au-dessus de leurs moyens au mépris de la vocation sacerdotale de la fonction publique. Sinon, comment peut-on concevoir que des fonctionnaires soient des multimillionnaires et des milliardaires avec un salaire de 500 000 à 800 000 FCFA le mois ? Toutes ces personnes indignes sont atteintes de deux pathologies à savoir le syndrome de capharnaüm et le syndrome de Peter Pan. La prédation des deniers publics est depuis l’indépendance nominale de chaque pays un sport favori en Afrique. J’ai personnellement découvert cette immoralité effrontée quand j’ai été responsabilisé pour faire la méta-évaluation de toutes les décisions prises en conseil des ministres concernant l’agriculture, l’élevage, la pêche et les eaux et forêts de janvier 1980 à mai 1984 sur instruction du Président Mathieu Kérékou au Ministre Adolphe Biaou. Et toute la question est de savoir comment peut-on devenir riche pour son pays et pas que pour soi-même ? La première grande fortune africaine, Alhaji Aliko Dangote a esquissé une réponse qui expose alors son hygiène de vie comme suit : « Je ne suis pas du genre à jeter de l’argent par les fenêtres. Je dépense plus d’argent pour des œuvres caritatives que pour moi-même. Heureusement, mes enfants et moi-même avons été très disciplinés. C’est pourquoi, si vous regardez aujourd’hui, en raison de la façon dont je mène mon style de vie, je n’ai pas de maison en dehors du Nigeria. Je séjourne souvent dans des hôtels modestes et simples. Ma vie n’est pas très somptueuse et je suis très gêné si j’essaie de montrer que j’ai de l’argent. Je ne sais pas pourquoi. Je pense que je conseille toujours aux gens qu’il vaut mieux être très communautaire. À Lagos, je conduis moi-même les week-ends. Je demande à mon chauffeur d’aller se reposer, puis je prends le volant. Je rends toujours visite aux amis avec qui j’ai grandi. Ma maison est ouverte 24h/24 pour eux. Je me mêle à tout le monde. C’est le seul moyen de savoir ce qui se passe. » Voilà la méthode inspirante de gouvernance participative de Dangoté qui reste une mine de sagesses pour enseigner la citoyenneté par l’honnêteté et la sobriété. Nous avons la confirmation qu’il n’y a point de développement sans la morale et l’éthique car ce sont les valeurs qui canalisent nos pulsions ou charges vibratoires, et fondent la conscience qui nous élève en dignité. Méfions-nous alors des gens qui ne sont sensibles qu’à leurs intérêts personnels et claniques. Le Bénin est traversé par un séisme moral, pire qu’un tremblement de terre de grande magnitude et je l’ai su par mes travaux de recherche de 1984 à 1997. Nous souffrons d’une pathologie propre à nos orgueils que j’avais dénommé en parlant de « Douganisme » c’est-à-dire le Béninois aime tellement consommer le pouvoir que l’abus du pouvoir finit par le dévorer au moment où il s’y atteint le moins. Quand le pouvoir parvient à faire de vous un orgueilleux, cette folie des grandeurs tue l’éthique en vous et plus rien de sobre ne gouverne votre vie. La puissance publique n’existe pas sans l’esprit de sacrifice proportionnel et elle est aussi l’ensemble des générosités qu’un Etat soucieux de l’intérêt général et du bien commun partage avec son peuple. En conséquence de quoi, il n’y a d’Etat que des pouvoirs publics, et de puissance publique dès lors qu’on a conscience que tout ce qui est public appartient au peuple. Il s’ensuit qu’il n’y a de pouvoir public que ce pouvoir du peuple et la fonction de l’éducation à la citoyenneté responsable est de renforcer la puissance du peuple. Il est inconcevable pour un gouvernement de gouverner un Etat sans partager le pouvoir du peuple avec ce peuple qui en est le seul souverain. Mieux, l’article 3 de la constitution de 1990 révisée par la loi 2019-40 stipule : « la souveraineté nationale appartient au peuple ». Mais il ne suffit de de l’énoncer, que faisons-nous concrètement pour que le peuple découvre que c’est lui le souverain et non une mouvance présidentielle, des partis d’oppositions, des syndicats, des clans, des individus, des opérateurs économiques, etc. ?C’est pourquoi, la démocratie doit être participative avant d’être représentative, d’où le pouvoir du peuple commence par le bulletin de vote et la veille citoyenne sur toutes les politiques publiques afin d’induire l’investissement humain et la contribution fiscale du citoyen. De ce fait, la citoyenneté responsable relève de l’aménagement du territoire et de sa note de réglementation qui encadre les droits et les devoirs des citoyens à travers des permissions, des restrictions et des interdictions. Seul le territoire aménagé et garant de la continuité de l’offre de services publics aux populations qu’on appelle la cité et la jouissance accompagnée des devoirs de chacun fait le citoyen. A cet égard, la citoyenneté est alors un système d’endettement mutuel d’échange de droits et devoirs entre chaque citoyen et la cité.Si le système politique, le système administratif, le système éducatif et le système social ne sont pas repensés pour stabiliser le Bénin autour d’un ensemble de valeurs tangibles et tenant lieu d’un nouveau code d’éthique, je crains que seul prévaudra à la longue la gouvernance de l’Etat par le pouvoir corrupteur de l’argent et les rapports de force. Ce sera non seulement dangereux, un tel mode de fonctionnement sociétal est suicidaire puisque l’Etat se radicalisera et les populations se radicaliseront à leur tour. Je témoignais dans mon ouvrage « Mon chemin de l’inutilité » publié en 2016 et préfacé par un Être éminemment exemplaire, feu Jérôme Carlos sur les valeurs à cultiver pour sauver le Bénin du naufrage des antivaleurs. Sur les dix (10) valeurs d’éducation au développement, j’ai insisté sur la spiritualité comme état d’esprit dans la responsabilité, la réflexion, la décision et l’action en empruntant deux voies : la bienveillance ou la malveillance. Ayant aussi une forte conscience que ce que nous devons changer pour que les choses changent en profondeur et durablement, c’est la gouvernance de l’Afrique, en août 2014, il y a dix ans exactement, j’ai cassé ma tirelire pour éditer après huit ans de recherche un document intitulé « Renforcer la gouvernance pour crédibiliser l’Etat en Afrique, Vadémécum pour le renforcement des capacités et le coaching des cadres. » Dans cet ouvrage, 797 notions sur la gouvernance ont été définies et explicitées. Je tiens à mettre modestement quelques exemplaires de ces deux ouvrages pour soutenir la bibliothèque et le fonctionnement de l’ONG Actions Citoyennes pour une Gouvernance participative et ce sera ma petite contribution. Car la participation signifie apporter sa part d’abord et ensuite prendre sa part des résultats de l’effort commun. Une vérité à rappeler c’est que les OSC ont aussi des efforts de gouvernance interne à faire pour être crédibles dans leurs relations avec les pouvoirs publics, les populations et les partenaires de coopération internationale. Une organisation sociale, qu’elle soit publique, privée ou associative qui n’a pas un fonctionnement démocratique interne est disqualifiée pour promouvoir une gouvernance participative. Il est important que j’attire votre attention sur ce risque de caporalisation du pouvoir de décision. Il est ainsi attendu des dirigeants du pays d’être l’incarnation des permissions, restrictions et interdictions afin que leur exemplarité puisse inspirer et déterminer les comportements des populations. Lorsque l’ancien Premier ministre du Mali, Moussa MARA renonce à ses avantages financiers comme salaires, paiement des frais d’électricité et d’eau pour alléger les finances publiques de son pays, il s’agit bien d’une contribution au soulagement des finances du peuple. Voilà un vrai patriote qui a le sens du sacrifice proportionnel et de l’honneur. Au Bénin, les salaires et les avantages politiques sont supérieurs à ceux des occidentaux alors que le peuple saigne. Pire ces salaires et avantages relèvent depuis 2016 du secret d’Etat, ce qui est paradoxal et inadmissible.Mesdames et messieurs Comme Karl Max l’enseignait « Celui qui ne connaît pas l’histoire est condamné à la revivre ». J’ai été particulièrement touché et heureux d’un aveu public du Président Talon en présence du président Macron : « Il ne serait pas sincère que je dise que je n’ai aucune responsabilité dans l’état dans lequel se trouve le Bénin. Il faut le dire, la responsabilité est partagée par beaucoup d’entre nous dont moi-même. L’Etat dans lequel se trouve le Bénin, la minorité s’accapare un peu trop des maigres ressources du pays. Être dans mes fonctions actuelles, avoir cette opportunité de réparer et m’abstenir serait louper l’occasion de rentrer dans l’histoire. » Toute la question est de savoir comment l’homme entre dans l’histoire ? Un dirigeant d’un Etat entre dans l’histoire par l’amour pour son pays et la satisfaction qu’éprouvent les populations de ce pays du système de gouvernance publique et non par les statistiques flatteuses de classement mondial des institutions de Bretton Woods qui reposent sur des critères de performance qui sont rarement ceux des peuples. Il faut être à l’écoute de son peuple et dialoguer avec lui, cette pédagogie de l’action publique est la meilleure.Tout comme il n’est pas facile de déclasser une forêt classée et une aire protégée sans compensation en étendue et en profondeur qui forment sa biodiversité, il ne doit jamais être permis facilement à un régime politique d’effacer un pan de l’histoire qui le dérange ou le compromet. C’est pourquoi, la continuité de l’Etat repose sur les traces passées et récentes afin de conter l’histoire sans la faire bégayer.
Mesdames et Messieurs
Je dois enfin rappeler quelques devoirs de contribution à la construction économique de notre pays à travers quelques questions d’interpellation. Pourquoi au Bénin, quand l’Etat privatise ou crée des sociétés d’économie mixte, il ne fait pas prévaloir le patriotisme économique en faisant entrer les travailleurs et les pauvres dans le capital social et on ne privilégie que les riches nationaux et étrangers ainsi que ceux qui ont massivement détourné des deniers publics et servent d’autres personnes pour blanchir des capitaux ? Qui sont ceux qui jouent le plus à la loterie nationale, ce sont des gens à faible revenus qui s’appauvrissent par le jeu d’argent avec l’illusion de devenir riches et pourtant, on ne fait rien pour drainer leurs épargnes vers l’actionnariat populaire pour créer de grosses entreprises ? C’est nos esprits de compétition tueurs de l’esprit coopératif qui empêchent ce pays de progresser par l’humanisme. A qui profite la course effrénée à l’accumulation de biens matériels ? A une minorité de gens certes ! Éduquons nos populations à la coopération, c’est la seule voie de salut collectif pour entreprendre et réussir ensemble pour un Bénin gagnant.En matière d’actions citoyennes, il ne faut jamais compter sur des commerçants véreux pour changer le cours de l’histoire. Il existe néanmoins des commerçants qui ont une conscience empathique et le sens de la pudeur qui parviennent à faire des efforts en vue d’accompagner l’Etat à lutter contre la vie chère qui est un danger pour la paix et la stabilité d’un pays car le ventre affamé n’a point d’oreilles. C’est pourquoi, la gouvernance participative est une modalité pratique de veille citoyenne et de co-production des mesures d’anticipation des nuisances économiques et sociales dans chaque domaine, ce qui suppose que dans chaque secteur doit exister un cadre de dialogue entre le public, le privé, les usagers et les organisations de défense des consommateurs. Ce qui suppose par ailleurs que dans chaque administration, la gouvernance participative doit reposer sur les assemblées générales de personnels, des comités de gestion, des comités de direction.
Mesdames et Messieurs
La bataille qui nous interpelle est la manière de passer de la violence à la non-violence dans la gouvernance publique par la production de leaders en nombre suffisant pour éclairer et guider les Béninois autour de valeurs nobles comme la confiance mutuelle, la synergie et la réussite collective. Voilà un vaste chantier d’actions citoyennes d’une ONG comme la vôtre. Nous vous encourageons vivement à l’investir. Retenons enfin que le patriotisme est la meilleure signature qu’un citoyen peut léguer à la postérité. Il est une flamme qui ne s’éteint jamais et qui ne s’hérite pas non plus. Il est une fleur épanouissante qui fructifie mais pour le cueillir, il faut être patriote soi-même. Mais la seule école pour devenir patriote est d’emprunter le parcours de l’éducation à la citoyenneté et à cet effet, il est à souhaiter que l’Etat mette en place un Programme National d’Education à la Citoyenneté avec un financement public sécurisé comme il a commencé par le faire pour les partis politiques qui sont sortis de l’engrenage des financements occultes incertains. Personne n’est plus fort que son peuple. Les individus passent, le peuple est vivace et Dieu est éternel. Nos instants et instincts doivent être gouvernés par l’humilité car malgré sa masse, l’éléphant craint toujours la colère d’une fourmi magnat et cette fourmi c’est le peuple.
Je vous remercie