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Crise Bénin-Niger: « la pluralité des acteurs actuellement impliqués dans la géopolitique du Niger et du Bénin et la nature presque irréconciliable des intérêts de certains de ces acteurs ne favoriseront pas l’identification d’un médiateur crédible et acceptable par tous », Dr Juste CODJO

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La récente parution du livre de Les Sosnowski et Monique Sosnowski sur l’ agression du Bénin par des mercenaires le 16 janvier 1977, une attaque connue sous le nom « d’Opération Crevette », nous offre l’opportunité d’examiner les tensions actuelles entre le Niger et le Bénin sous un angle géopolitique instructif. Il existe en effet quelques similitudes saisissantes entre les circonstances de cette opération datant de la guerre froide et la crise actuelle entre le Niger et le Bénin.

Pour rappel, « l’ Opération Crevette », conduite par le mercenaire français Bob Denard, avait été initiée par des opposants béninois au régime militaire de Mathieu Kérékou avec le soutien logistique et opérationnel de plusieurs gouvernements étrangers, particulièrement ceux de la France, du Maroc, du Gabon et du Togo. L’objectif de l’opération était de renverser un régime militaire hostile et de le remplacer par un régime civil favorable aux intérêts occidentaux.

Il est également important de rappeler que le Bénin et son voisin le Togo entretenaient, bien avant cette opération, des relations particulièrement tendues. Kérékou accusait son voisin Gnassingbé Eyadéma d’abriter des activistes subversifs béninois, tandis qu’Eyadéma accusait Kérékou de vouloir attaquer le Togo. Grâce à la médiation du président guinéen Sékou Touré, les deux dirigeants ont fini par se rencontrer en 1976 pour faire la paix. Cependant, moins d’un an après cette rencontre, l’attaque du 16 janvier 1977 a eu lieu à Cotonou.

Des archives découvertes ultérieurement ont révélé que jusqu’au 15 octobre 1976, soit seulement trois mois avant l’opération de Bob Denard, le Togo abritait encore un groupe de commandos mercenaires. Ces documents montrent également que ces mercenaires participaient à la formation et à la préparation d’un bataillon d’infanterie togolais, destiné à soutenir la phase finale de l’opération de Bob Denard au Bénin.

Pour se convaincre des similitudes entre cet épisode historique des années 70 impliquant deux pays voisins (le Togo et le Bénin) et les tensions actuelles entre le Niger et le Bénin, il suffit de se référer à quelques faits d’actualité observables par tous. D’un côté, le régime militaire du Niger accuse le Bénin d’héberger des militaires français et des subversifs nigériens qui prépareraient ensemble une déstabilisation du Niger. Sur la base de cette accusation, les autorités nigériennes maintiennent la fermeture de leurs frontières avec le Bénin.

De l’autre, le Bénin déclare disposer « d’informations récurrentes [qui] font état de la planification d’actes d’atteinte à la sûreté de l’État du Bénin ». Soupçonnant une implication du régime militaire nigérien, les autorités béninoises ont récemment procédé à l’interpellation d’une délégation du Niger en visite sur le site de la société pétrolière chinoise West African Oil Pipeline Company (WAPCO Bénin), gestionnaire du projet de pipeline Niger-Bénin. Bien qu’il soit encore trop tôt pour établir la véracité des accusations et des soupçons de chacune des parties, il est évident que ces tensions rappellent les postures du Togo d’Eyadéma et du Bénin de Kérékou avant l’attaque des mercenaires à Cotonou le 16 janvier 1977.

Il existe aussi une similitude frappante entre les circonstances géopolitiques ayant conduit à l’agression mercenaire contre le régime de Kérékou en 1977 et le contexte géopolitique de la crise actuelle entre le Niger et le Bénin. Dans un contexte de guerre froide entre les pays du bloc occidental et ceux du bloc de l’Est, le régime militaire de Mathieu Kérékou avait opéré des choix géopolitiques qui avaient contribué à rallier, contre lui, plusieurs gouvernements étrangers alliés au bloc occidental. Aujourd’hui, le régime militaire en place à Niamey, à travers une série de choix géopolitiques qu’il qualifie de souverainistes, crée progressivement les conditions d’un ralliement, contre lui, de gouvernements étrangers hostiles à ses orientations géopolitiques. Est-il possible, peut-on se demander, que la crise avec le Bénin serve de proxy et que des pesanteurs géopolitiques contribuent à son escalade à l’instar des épisodes observés pendant la guerre froide ?

Au regard des précédents historiques et des faits d’actualité sus-évoqués, les acteurs et observateurs de la crise actuelle entre le Niger et le Bénin devraient se garder de sous-estimer les risques d’une escalade par l’une ou l’autre partie. Les risques d’une telle escalade devraient être évalués, non pas sur la base d’émotions envers l’une ou l’autre partie, mais par rapport à la perception, par chacune des parties, du degré de la menace d’une possible déstabilisation de leurs régimes respectifs.

Du côté nigérien, le Général Abdourahamane Tiani est-il sérieusement convaincu (indépendamment de la réalité) que le gouvernement béninois et ses alliés extérieurs préparent une déstabilisation armée contre son régime ? Si oui, le risque d’une radicalisation voire d’une escalade de la part du Niger devrait être pris au sérieux. Une radicalisation consisterait, par exemple, à maintenir sa position actuelle jusqu’à la fin du mandat du président béninois en 2026. En revanche, une escalade nigérienne consisterait, par exemple, à initier ou soutenir un renversement du régime béninois par la force, ou à soutenir ses opposants politiques en vue d’une victoire lors des élections présidentielles de 2026.

Du côté béninois, le président Patrice Talon et ses alliés extérieurs sont-ils convaincus que le régime militaire de Tiani et ses alliés constituent une menace à leurs intérêts vitaux, y compris la survie politique du régime béninois ? Si oui, le risque d’une escalade de leur part, notamment visant un changement de régime au Niger, est aussi à prendre au sérieux.

Pour un examen rationnel des chances d’une désescalade de cette crise, il serait indiqué de s’appuyer sur quelques théories de relations internationales. Suivant les théories sur la négociation en matière de conflits interétatiques (bargaining theories of war), notamment celle de James Fearon publiée en 1995, deux États en conflit ont toujours une possibilité de trouver un accord pacifique durable qui puisse satisfaire les deux parties et donc aider à éviter une escalade des tensions. Mais il y a trois raisons qui souvent, séparément ou conjointement, empêchent l’un ou l’autre de ces États de rechercher ou d’accepter un tel accord.

En premier, il s’agit du « incomplete information », une explication mettant en relief la difficulté pour les États d’avoir accès à des informations complètes sur les intentions et les capacités de leurs adversaires. Dans la crise actuelle, le régime du Niger ne possède donc pas des informations complètes sur les intentions et les capacités de nuisance du gouvernement béninois et vice versa. La possibilité d’une escalade fondée sur des informations erronées ou incomplètes est donc prévisible.

La deuxième raison qui explique les difficultés de désescalade des conflits entre États est connue sous le nom de « commitment problem ». Il s’agit ici d’une difficulté des États en conflits à se faire confiance quant à leur engagement à respecter les termes d’un accord. Chacun craint qu’une fois l’accord signé, l’autre partie pourrait le violer et passer à une escalade quand de nouvelles conditions émergeraient à son avantage. Dans la crise actuelle, les difficultés du Niger et du Bénin à trouver un accord satisfaisant pourraient persister si l’une des deux parties considère que l’autre manque de bonne foi ou ne l’a pas suffisamment démontrée.

La troisième raison avancée par James Fearon et d’autres chercheurs pour expliquer les escalades de tensions entre États est dénommée « issue indivisibility ». Suivant cette explication, les Etats en conflits optent pour une escalade, malgré l’existence d’un possible terrain d’entente, parce que l’objet de la dispute représente des intérêts si importants pour l’une ou l’autre des parties qu’un compromis n’est point envisageable. Dans la crise actuelle, les intérêts des parties impliquées ne sont malheureusement pas tous connus du public.

Au-delà des déclarations officielles faisant état d’intérêts nationaux, il peut aussi s’agir d’intérêts privés d’ordres politique, économique, ou financier. Les chances de désescalade de cette crise sont donc aussi une fonction de la nature des intérêts en jeux. Un compromis sera donc difficile si une partie perçoit la défaite politique de l’autre partie, par la force ou dans les urnes, comme la seule solution pour protéger ses intérêts.

Les recherches de solution à la crise devraient privilégier une approche holistique prenant en compte les appréhensions et les intérêts des différentes parties. En de pareilles circonstances, il est généralement recommandé de recourir aux services de médiation d’une tierce personne, physique ou morale, capable d’aider à surmonter les difficultés liées à « l’incomplete information » et au « commitment problem » .

Un tel médiateur doit posséder une crédibilité reconnue par les parties au conflit et la capacité de vérifier indépendamment les informations fournies par chaque protagoniste. Il doit également pouvoir rassurer les deux parties qu’il a les moyens de faire respecter, par chacune d’elles et sur la durée, l’accord qu’elles auraient conclu.

Malheureusement, la pluralité des acteurs actuellement impliqués dans la géopolitique du Niger et du Bénin et la nature presque irréconciliable des intérêts de certains de ces acteurs ne favoriseront pas l’identification d’un médiateur crédible et acceptable par tous. Il est donc à craindre que cette crise ne persiste encore pour un temps et qu’une escalade ne soit, tôt ou tard, la seule issue possible.

Juste Codjo, professeur de sécurité internationale (New Jersey City University) et ancien officier supérieur des forces armées béninoises.

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