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Entretien exclusif avec Roch MONGBO au forum EPA 2021: \ » Le pouvoir public a intérêt à valoriser cesinitiatives (…) Car, ces questions ou les données ou connaissances qu\’elles produisent, constituent desbanques de ressources auxquelles, il peut faire recours au moment de réajuster ses politiques\ »

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Professeur Roch MONGBO


Présent au forum EPA 2021, organisé par l\’ACED, le professeur Roch MONGBO, après avoir prononcé une
communication de lancement de l’initiative dite ‘Les 100 questions critiques actuelles en matière de sécurité
alimentaire et nutritionnelle’ a donné ses impressions et dit ce qu\’il pense d\’une telle initiative, tout en
abordant des questions connexes. Exclusivité.

  • Presentez-vous à nos lecteurs ?

  • Roch MONGBO, agronome et socio-anthropologue, professeur titulaire de sociologie du développement et
    directeur du Laboratoire d’Analyse des Dynamiques sociales et des Études du Développement à l\’Université
    d\’Abomey-Calavi.
  • Pourquoi élaborer un agenda de recherche pour la sécurité alimentaire et nutritionnelle, quelle est la
    pertinence ?

  • La pertinence, c\’est qu\’aucune solution à aucun problème, n\’est jamais complète ni définitive. Les actions
    qui sont déployées à un moment donné, le sont en réponse partielle à des problèmes qui se posent
    aujourd\’hui. De plus, ces actions vont générer de nouveaux problèmes ou de nouvelles interrogations. Alors,
    plutôt que de se laisser surprendre par les effets de ces problèmes qui découlent de ces solutions
    partielles il vaut mieux anticiper, s’interroger afin de disposer de réponses précoces à ces problèmes
    nouveaux ou émergents, pour pouvoir ajuster les actions en cours ou en amorcer de nouvelles en temps
    opportuns. Toutes les interventions ont généralement un dispositif de suivi-évaluation qui enregistre ce que
    l\’on appelle les données de routines ou de progrès, servant à des évaluations à mis parcours, des évaluations
    finales, etc…
    Mais figurez-vous que ces dispositifs de suivi et ces évaluations sont faites par rapport au cadre logique de
    l\’opération. Cela veut dire, qu’ils se basent sur les variables et indicateurs qui ont été prédéfinis comme
    devant faire l’objet de l\’opération. Ces variables et indicateurs retenus sont ceux qui ont été jugés
    prioritaires lors de la préparation de l’opération, tandis que d’autres ont été jugés non prioritaires sur le
    moment. Les questions dont-il s\’agit ici, émergent d\’éléments, de variables ou de paramètres qui auraient
    éventuellement (à juste titre peut-être) échappé à ce cadre logique et qui deviennent critiques au regard
    des résultats attendus. Ces questions peuvent également émerger de problèmes entièrement nouveaux qui
    peuvent passer inaperçus aux acteurs centraux des interventions en cours, ou qui sont hors de la portée de
    leurs moyens actuels d’action. Voilà, pourquoi en situation normale, on devrait garder une vigilance de
    regard sur de telles questions. En situation d\’action politique, on devrait se doter de ce genre de dispositif
    qui permet d’alimenter en données nouvelles l’action politique sur des situations non anticipées.
  • Un tel agenda n\’existe-il pas?, L\’exemple du plan de développement agricole ; en quoi la présente initiative
    est-elle différente ou qu’amène-t-elle de nouveau?
    Le plan national de recherche agricole relève de ces domaines de politique publique de recherche qui sont
    déjà mise en place. Et ces politiques de recherches sont le produit du diagnostic de situation à un moment
    T, d\’arbitrages sur ce qui est jugé, prioritaire et important à ce moment T. Et d’arbitrages sur ce que les
    ressources disponibles permettent aux institutions en charge de faire. Et de nouvelles choses qui émergent
    à la faveur de ces recherches là, échappent à ces actions. En particulier, quelque chose qui est inerrante à
    toute action, surtout dans un contexte où l’on prône la compétitivité et l\’innovativité. L\’innovation produit
    toujours une catégorie d’individus non novateurs et qui sont alors largués des dynamiques socio-économiques
    en marche. La compétitivité par essence, la compétition dans son sens premier, débouche naturellement sur

des gagnants et des perdants. Et les perdants, de même que les acteurs non-novateurs largués, sont eux
aussi des citoyens à part entière, des humains dont la situation doit faire l’objet d’attention politique.
Quand on ignore le cas des perdants et des largués socio-économiques, il n\’y a pas meilleure façon de faire
le lit à l\’insécurité sociale. Or, ce n\’est pas ce que recherche le politique. Des interrogations comme cellesci, visent à repérer des inégalités sociales qui sont involontairement produites lors de la mise en œuvre
d’actions politiques de bonnes intentions. Elles permettent également de décortiquer des situations
nouvelles qui émergent et de préparer le terrain à leur prise en charge politique conséquente.


Pourquoi pensez-vous que ACED est bien positionné pour conduire un tel processus ?


Il est déjà à encourager et cela est heureux qu\’une telle initiative se prenne. Tout gouvernement arrive au
pouvoir sur la base d\’un agenda politique. Et notre gouvernement actuel a décliné cet agenda sous forme de
programme d\’actions du gouvernement, avec des indicateurs clairs et des projets phares clairement
affichés. Le gouvernement, pour être conséquent envers lui-même, se doit de garder ce plan dans sa ligne
de mire et de mobiliser les ressources requises à sa mise en œuvre. Un gouvernement ne doit pas se laisser
distraire par des questions parallèles, sauf cas d’urgence, et a bon droit d\’ajourner les nouvelles questions
jugées non urgentes pour un programme futur. C\’est en cela qu\’il n\’est pas réaliste de s\’attendre à ce
qu\’un gouvernement dispose d\’un instrument comme celui dont ACED prend l\’initiative ici. Je pense que les
acteurs de la société civile, pris au sens large, (incluant donc universitaires et chercheurs) sont les plus à
même de prendre de telles initiatives sans que cela ne s\’inscrive en aucun cas sous un registre de
contestation ou d\’opposition politicienne, ou de recherche de la petite bête. Ces initiatives doivent avoir
pour but, d\’alimenter l\’action politique par des données concrètes du terrain, échappant aux points de mire
de l’action politique. Je pense que ces acteurs de la société civile sont les plus outillés pour prendre ces
initiatives. En effet, quand vous êtes une institution située dans la structure hiérarchique du
gouvernement, vous avez un programme d\’actions, un plan de travail à réaliser, lequel plan de travail n\’est
décliné qu’à partir du programme d\’actions du gouvernement. Alors, vous n\’avez pas le temps de vous laisser
distraire par des situations non prévues, sauf en cas de catastrophes bien sûr. Du reste à la limite, des
instruments d’Etat existent pour prendre en charge les catastrophes. Ce ne sont donc que des acteurs qui
sont en marge de ces obligations contractuelles du point de vue de la politique publique qui peuvent
librement prendre de telles initiatives consistant à faire la prospection de nouvelles questions ou de
situations émergentes. Et le pouvoir public dans une certaine mesure, a intérêt à valoriser ces initiatives,
même s\’il se dédouane de ne pas être en mesure de prendre en charge ces questions dans l\’immédiat. Ces
questions ou les données et connaissances qu\’elles produisent constituent pour le gouvernement des
banques de ressources auxquelles il peut faire recours au moment de réajuster ses politiques. Et surtout, si
ces données sont bien produites, elles permettent de désamorcer des bombes sociales potentielles, puisque
si des inégalités graves sont détectées assez tôt, et qu’une prise en charge conséquente est assurée, ne
serait-ce que de manière ponctuelle ou adoc, cela permet d’évier des crises éventuelles. Ce sont des
initiatives comme celle-ci, qui peuvent réaliser de telles choses.


Propos recueillis par Alain Kolawolé ALAFAÏ

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