Yayi Boni : du populisme à la popularité
Yayi Boni est le seul acteur politique, après Mathieu Kerekou, qui est parvenu à transformer son populisme en popularité au Benin sur la période 1972 à 2022.
Aucun autre acteur politique n\’a pu réussir cet exploit sur le terrain de l\’humanisme.
Il faut simplement reconnaître cette réalité sociopolitique incarnée par le fils terrible de Tchaourou devenu l\’enfant le plus adulé dans la majorité des communes du Bénin par le vrai peuple.
Pourtant, le président Yayi a beaucoup de défauts comme tout homme d\’ailleurs. J\’ai souvent dénoncé son laxisme et sa faible maîtrise de la chaîne décisionnelle de l\’Etat infiltrée de toute part par des corrupteurs en série.
Oui, le président Yayi a quelques penchants de type féodal qui font qu\’il adore le pouvoir et être en position de chef. Paradoxalement, il aime qu\’on l\’encense tout comme il est lui même un homme très généreux en flatteries.
Il est le mari de toutes les femmes béninoises : \ » je vous aime, vous êtes belles \ ». Yayi Boni est un homme qui cultive la proximité avec son peuple et c\’est là sa grande force.
Avec le président Kerekou, ils ont été les présidents les plus territorialistes du Bénin. Ils passaient partout. C\’est une parfaite stratégie de renseignement qui marche en Afrique. Le renseignement territorial profite plus au chef visible sur le terrain qu\’au chef invisible. La visibilité du chef crée une relation de confiance entre le peuple et ses dirigeants. Le peuple même affamé a le sentiment que sa souffrance est partagée et accepte alors d\’être patient. Les jeunes se radicalisent moins vite et pèsent le pour et le contre avant de basculer dans le terrorisme.
La nature d\’un régime politique et la personnalité de son chef retardent ou accélèrent la colère d\’un peuple. Il faut le savoir.
Oui, quand Yayi parle de démocratie Nescafé, tout le monde sait qu\’un homme laxiste ne peut pas être un vrai dictateur. Même lorsqu\’il parle de dictature de développement sous l\’effet de la colère au sortir d\’une visite au Port Autonome de Cotonou, c\’est juste une belle blague d\’où mon opuscule publié sur cette thématique en 2013 qui expose les conditions préalables et fonctionnelles d\’une telle dictature. Yayi ne répond à aucun des critères comme ceux promus par Mao Zedong et Deng Xiaoping pour faire de la Chine une puissance mondiale.
Yayi a trop délégué ses pouvoirs à des proches collaborateurs institutionnels. Est-ce qu\’un vrai dictateur délègue des pouvoirs ? Jamais, parce que, au nom de l\’autocratie, il a une conception concentrationnaire du pouvoir d\’État du sommet de l\’État en passant par les collectivités territoriales jusqu\’au village. Il croit ainsi maîtriser tous les territoires, toutes les institutions, toutes les administrations et les populations. Un dictateur a beaucoup peur de perdre le pouvoir d\’État et il se bat jusqu\’à son dernier souffle pour ne pas le perdre parce qu\’il sait ce qui l\’attend après le pouvoir.
Yayi aime le pouvoir et en même temps, il en a très peur. Peut-être que de temps en temps, il se dit que sa vie dépend de la volonté de Dieu. Donc, il faut se donner des limites au risque de perdre totalement la sympathie du peuple.
Pourquoi, les marcheurs des mercredis rouges voulaient que Yayi cesse d\’être un dictateur? Ils ont tous fait une fausse lecture du profil de Yayi.
Certains se mordent les doigts et d\’autres s\’arrachent les cheveux aujourd\’hui ?
Beaucoup étaient dans un opportunisme monétaire et pas plus. Ceux-là étaient au service de la manipulation de l\’opinion nationale et internationale.
Ces marcheurs se présentaient comme des ardents défenseurs de la démocratie et une fois au pouvoir, ils imposent la dictature au peuple et font même l\’apologie de la dictature à l\’international, se servant de la suppression des droits de grève des travailleurs comme un atout d\’attraction des investisseurs étrangers. Nous étions tous naïfs hier et victimes aujourd\’hui.
Yayi n\’est ni un démocrate ni un dictateur mais il entretient des relations ambiguës avec le cercle des dictateurs parce qu\’il fut redevable à certains d\’entre eux.
C\’est cette proximité avec le milieu dictatorial qui fait penser à son approche opportuniste du pouvoir d\’État. Il affectionne d\’être chef mais il n\’a aucune stratégie de conservation capricieuse du pouvoir d\’État. Son dauphin Lionel Zinsou, a fait un score très honorable au premier tour de l\’élection présidentielle de 2016, puisqu\’il vient en tête et c\’est là que Yayi a donné une leçon de science po à tous ces vendeurs de discours creux qui se passent pour des spécialistes alors qu\’ils n\’ont aucune légitimité sociale dans aucune circonscription électorale dans le pays.
Le Bénin a beaucoup d\’intellectuels qui se comportent comme des sauterelles. Leurs inconstances révèlent leur inconsistance sur l\’échiquier politique. Lorsque l\’opportunisme vous pousse à rechercher le pouvoir d\’État par tous les moyens, c\’est que vous oubliez que tout pouvoir qui n\’est fondé que sur l\’avidité est l\’expression de la vanité.
Yayi a pour idéologie l\’humanisme; c\’est pourquoi il bat de très loin en coefficient d\’estime, tous les politiciens Béninois.
Yayi est un homme sentimental et assez émotif dont le coeur n\’est pas dur. La pitié et le pardon restent ses plus grands atouts.
Oui, je critiquais son régime et lui-même en toute franchise durant ses deux mandats à tel point qu\’à un débat au champ d\’oiseau pour l\’élection présidentielle en 2011 où il devait faire le chaos au son second mandat, son beau-frère le ministre du plan Marcel de Souza me donnait en Fon (langue du Bénin) la formule suivante : \ » AVO DJÊ KINTWO YÉNI KPÊ\ » autrement dit il faut reconnaître le mérite de son ennemi. Soyons clairs, le président Yayi est mon adversaire sur le terrain des idées et de certains comportements que je n\’appréciais de lui.
Ma déception venait de la promesse de rendre publics les résultats d\’audits des deux mandats du président Kerekou. Ils ont passé un communiqué à cet effet. Nous nous sommes rendus sur les lieux et un ministre très proche de lui nous projette en cinq minutes, et nous étions en 2006 bien entendu, que le rapport faisait 800 pages et a besoin d\’un digesteur. En décembre 2022, soit 16 années après, le digesteur des audits de chantages n\’a toujours pas rendu publics les noms des assaillants et des assassins de l\’économie béninoise.
Comme quoi, les loups ne se mangent jamais entre eux. Voilà le point de mes divergences avec le régime Yayi. Le régime Yayi a vraiment contribué à fortifier ma conscience citoyenne sur les questions de modélisation institutionnelle. C\’est le régime que j\’observais le plus mais pourquoi ?
Le président Yayi a promis le changement sous le triptyque suivant :
1/ ça doit changer : faire du changement un devoir de progrès individuel et collectif;
2/ ça peut changer : faire du changement un processus de création et de développement des capacités, l\’inculturation de la bonne gouvernance ;
3/ ça va changer : faire du changement une source de fierté nationale, un chemin de l\’engagement pour le travail bien fait dans une dynamique de solidarité, du don de soi, de sacrifice proportionnel et un processus de création et de redistribution de la richesse nationale sans clientélisme et sans exclusion.
Yayi a travaillé plus sur le capital humain que n\’importe quel autre régime de 1991 à 2022. Ne pas reconnaître cette évidence, c\’est contourner la réalité et la vérité.
Mais son bilan du changement est faible mais avec du mérite tout de même.
Je ne fais que redire ce que j\’ai écrit il y a six ans sur le populisme et la popularité de Yayi.
Les brutalités dont il a été victime au marché Dantokpa avec le couple présidentiel Soglo, ensuite sa mise en étuve de séquestration pendant 52 jours n\’ont rien érodé de sa popularité.
Comme quoi, chacun a son aura qui fonde durablement sa relation de confiance et c\’est le cas entre Yayi Boni et le bas-peuple surtout.
Rassurez-vous, je n\’ai jamais émargé sur une liste d\’un parti politique pour émerger dans quoi que ce soit comme un défenseur acharné de la dictature et de la démocratie.
Cependant, je défendrai toujours l\’humanisme et le territorialisme qui sont mes deux idéologies, j\’entends mes valeurs fondées sur les libertés fondamentales et le droit à la différence. Etre différent ne doit pas empêcher d\’interagir dans l\’intérêt général.
Mon pays ne serait pas frappé à répétition par les vrais terroristes si depuis 1990, les Béninois avaient choisi d\’investir leur présent et leur futur dans ces deux idéologies de développement.
Et voilà, là où nous en sommes et tout se pense, se dit et se fait en termes de rapports de force et d\’humiliation.
Chaque fois, on n\’arrête de nous faire croire que c\’est pour la première fois. Il n\’y a plus d\’anciennes cordes. La crise de l\’humilité a cassé nos rapports humains et plus rien est harmonieux.
Yayi a une réputation d\’homme compassionnel envers les pauvres. Et lorsqu\’un régime politique élargit le cercle des pauvres, plus aucun pauvre ne retournera voir la mal gouvernance incarnée par cette personnalité dans le passé.
Au contraire, le cercle des pauvres s\’élargit en sa faveur. La question qui se pose alors est de savoir si on fait la politique pour les petits-bourgeois nationaux et les touristes, ou on travaille à partir des souffrances des populations surtout pauvres pour les soulager.
Après une dictature, les pauvres votent toujours pour leurs souffrances et non pour les partis politiques.
Il ne reste qu\’aux partis politiques qui se disent forts sans les pauvres derrière d\’actionner le système de tricherie électorale digitalisée.
Mais attention, quand les pauvres poursuivent la sincérité des résultats des urnes, il vaut mieux ne pas essayer de tricher. C\’est dangereux! Les conflits post électoraux peuvent transformer un pays en brasiers et lorsqu\’un tel pays est attaqué déjà par des groupes terroristes, il vaut mieux modérer la tricherie électorale digitalisée pour ne pas compromettre durablement la paix.
Yayi Boni est un homme énigmatique dont il est difficile d\’éteindre son aura. Autant admettre et respecter sa popularité. S\’attaquer à l\’aura de Yayi, c\’est éroder son propre pouvoir d\’influence.
Je ne suis pas en train de crier dans le désert; la politique ne vaut que par la valeur intrinsèque de celles et ceux qui la pensent et la mettent en oeuvre.
Simon-Narcisse Tomety