Le système de la monnaie unique, bien loin de rapprocher les peuples, les divise. « Jean-Pierre Chevènement »
Le Franc CFA, une monnaie controversée :
Le Franc CFA est le \ »Franc de la Communauté Financière Africaine\ ». D’aucuns diront que c’est \ »franc des Colonies Françaises d’Afrique\ » dans son appellation ancienne. La principale caractéristique du FCFA est que sa parité est fixe par rapport à la monnaie utilisée en France (Hier le franc français, aujourd’hui l’euro). Cependant, les banques centrales des pays de la Zone CFA (l’UEMOA et la CEMAC) ne garantissent pas cette fixité par rapport à la monnaie française. C’est le trésor français c’est-à-dire l’administration qui gère le budget de l’Etat (Et non pas la banque de France). De façon concrète il est prévu dans les textes que le trésor français s’engage à fournir des euros en échange des CFA dans la seule condition que les réserves de la zone CFA soient suffisantes. De plus, ils doivent déposer auprès du trésor public français 50% de leurs réserves de changes. Si celles-ci se réduisent, le signal d’alarme est tiré à l’approche du seuil des 20% pour éviter que les euros échangés contre le Franc CFA finissent par être payés par le contribuable français.
Dans le sens normal des choses, la monnaie doit être au service de la croissance et du développement parce que seul le crédit peut alimenter l’économie d’un pays donné. La zone CFA ne déroge pas à cette règle. A titre d’exemple, le ratio crédit à l’économie sur PIB est de 23% alors qu’il est à près de 100% dans la zone euro. Il est de ce fait quasiment impossible pour nos pays de rattraper les économies émergentes tant que le Franc CFA reste arrimer à l’Euro.
La fixité du FCFA par rapport à l’euro ne permet pas aux exportations des pays de l’Afrique de l’ouest et du centre d’être compétitives et par ailleurs encourage les importations.
Les voies se sont levées et l’élite africaine s’est montrée très critique contre l’hexagone qui veut toujours avoir une main mise sur les économies de ses anciennes colonies à travers le système du Franc CFA. Les réactions déferlantes pour s’insurger contre la France ne se sont pas fait attendre. Il était donc urgent d’entamer la réforme de Franc CFA et de rompre avec la servitude volontaire.
Une reforme historique, mais peu ambitieuse :
Dans leur décision de rompre avec l’accord sur le franc CFA qui date de 1945, les Présidents Macron et Ouattara ont décidé de reformer le franc CFA de façon historique. Cette réforme sonne malgré toutes les critiques le glas d’un point de départ salvateur pour la nouvelle monnaie ouest-africaine. En toutes choses, il y a un début, dit-on. Dans la réforme annoncée par Ouattara on peut dénombrer tout d’abord le changement du nom de la monnaie de FCFA en Eco, l’arrêt de la centralisation de 50% de nos réserves de change au trésor français et la fermeture du compte d’opérations. Et enfin le retrait des représentants de la France de tous les organes de décision de l’UEMOA avait annoncé Alassane Ouattara, près de Emmanuel Macron choyé par les officiels ivoiriens à Abidjan.
La parité fixe retenue suppose toujours l’alignement de la politique monétaire des pays de l’UEMOA aujourd’hui libéralisée, où les mécanismes de prix à travers leurs flexibilités devraient jouer pleinement leur rôle, aussi bien sur le marché des biens et services, le marché des capitaux et le marché du travail. Avec un régime de change flottant, la banque centrale dispose de marge de manœuvre pour conduire une politique monétaire orientée vers les objectifs nationaux.
Comment la France assurera désormais la convertibilité du FCFA à l’Euro ? Faut-il donc comprendre que le dépôt de 50% de réserves dans un compte d’opérations du trésor français n’était donc pas nécessaire pour que la France assure la garantie de la convertibilité du FCFA ?
Pour exprimer leur pleine souveraineté monétaire réclamée par la jeunesse de l’Afrique de l’Ouest et lever l’ambiguïté des relations avec la banque de France, le compte principal de la BCEAO correspondant devrait être logé dans les livres de la banque centrale européenne qui est le siège d’émission de l’euro. Sans cette condition l’offre de la garantie de la convertibilité demeure comme une inconvenance, une garantie de convertibilité irréelle.
Les critères de convergence ne sont pas une fin en soi :
Pour les critères nominaux de convergences, les États de l’UEMOA via le FCFA ont toujours essayé d’appliquer une discipline dans le cadre de la surveillance multilatérale. Les États de l’UEMOA sont les plus proches des critères nominaux convergences. Toutes ces questions sont traditionnellement prises en compte dans le cadre du FCFA. Le Togo est le seul pays qui respecte tous les critères de convergence à l’heure actuelle. Le critère déficit budgétaire sur le PIB n’est pas rempli par les pays de l’UEMOA lequel devrait être inférieur à 3%. Tous les pays de l’UEMOA sont proches sur ce critère de 6% que de 3%.
La Côte d’Ivoire semble choisir cette première option pour la rentrée en vigueur de l’Eco avec notamment sa fixité à l’Euro à titre transitoire. À ce niveau encore la durée de la transition n’a pas été explicitée.
La deuxième option est plutôt de ne pas s’en tenir aux critères nominaux de convergences, mais aux critères de convergences réels c’est -à-dire le PIB/habitant. On se rend compte que les trois premiers bons élèves de la CEDEAO sont le Cap vert, le Ghana et le Nigéria (c’est vraiment le trio de tête) comme l’indique la table ci-contre.
À ce niveau les tracteurs de convergences de la nouvelle monnaie de l’Eco ne sont plus les pays de l’UEMOA (le Sénégal et la Cote d’Ivoire, locomotives des pays de zone UEMOA viennent respectivement en quatrième et cinquième positions). La question de la transition subsiste toujours.
La troisième option s’illustre par la dualité : un Eco UEMOA et un Eco ZMAO. Le FCFA qui devient éco dans l’optique qu’ont tracé les présidents Macron et Ouattara avec une parité fixe à l’euro. On pourrait intégrer dans cette option le Cap Vert qui a déjà un taux de change fixe par rapport à l’Euro, mais qui n’est pas catégoriquement d’accord avec la France.
Dans la seconde Zone Monétaire de l’Afrique de l’Ouest (ZMAO) constituée par les cinq pays anglophones plus la Guinée Conakry, on peut parler d’un autre Eco piloté par le Nigéria qui pourrait être dénommé Eco ZMAO. Quand on lit la déclaration récente des pays de la ZMAO qui attaque clairement la Zone Franc et qui l’accuse d’usurper ou de dévoiler le projet originel de la CEDEAO, il n’est absolument pas impossible d’avoir deux « Eco » dans l’espace CEDEAO.
C’est une question de prospective qui prouvera certainement si les pays de la Zone Franc sont vraiment engagés et prêts à couper le cordon ombilical avec la France. Les critères de convergence s’avèrent nécessaires pour une optimalité des effets escomptés de la monnaie unique ouest africaine. Ne pourrions-nous pas faire autrement ?
La création d’une Zone Monétaire est le résultat d’un compromis politique et de décisions collégiales engageant les gouvernements à veiller mutuellement à ce que leurs politiques macro-budgétaires ne divergent pas trop. La zone euro peut être citée en exemple. Dans le contexte de l’Union européenne, une fois que l’euro est adopté, les critères de convergence n’ont pas toujours été respectés par certains pays y compris par la France et l’Allemagne qui sont les plus grandes économies de la zone. Et, lors de la violente crise des dettes publiques de 2010, le maintien de la monnaie unique a été une décision politique alors même qu’elle ne semblait plus viable au regard des fortes divergences macroéconomiques et structurelles des pays.
L’Eco, une source d’attraction du commerce régional et des investisseurs internationaux :
Même si les critères de convergences ne sont pas respectés par tous les pays, Le choix politique d’adopter une monnaie unique peut être déclencheur des forces endogènes qui réduiront progressivement l’hétérogénéité macroéconomique et structurelle entre pays. On peut constater également une stimulation du commerce régional à travers l’élimination du risque de change induit par la monnaie commune.
Par ailleurs, la grande zone financière créée par la mise en place de la nouvelle monnaie peut attirer davantage d’investissement dans les pays de la CEDEAO. Dans un contexte où les gouvernements cherchent à changer de modèle de croissance basé sur l’endettement auprès des organisations financières internationales, la manne financière issue de la grande zone financière constituée par le Etats de la CEDEAO apparait indispensable.
Par
Soumaila ABDOULAYE
Statisticien-économiste
Merci pour l’éclaircissement.