Tomety aux dirigeants africains: \ »Sans une justice équitable, préventive et réparatrice, l\’Afrique risque de connaître une explosion de comportements déviants du fait de la pauvreté grandissante, des difficultés d\’adaptation aux changements climatiques, des conflits intra et intercommunautaires, le chômage des jeunes\ »

Le droit et la probité dans la grandeur pudique de l\’art de juger au nom du peuple

Ce n\’est pas facile de dire la vérité dans un pays bercé par le culte de la corruption et où la tendance à vivre au-dessus de ses moyens est forte. Le droit qui est dit au mépris des pauvres pour davantage les affaiblir en bafouant leur dignité, plus un tel droit se vide de sa vocation de rendre justice.

Si le juge n\’est pas juste, il perd la crédibilité de sa vocation et la sacralité de son serment. Le comportement d\’un juge est le point de départ de la puissance publique. Tout abus de pouvoir imputé à un juge dégrade l\’image de l\’institution judiciaire. La bataille pour l\’impartialité n\’est pas forcément une bataille juridique. Elle d\’abord une lutte de défense de son honorabilité et de sa foi. C\’est la dimension spirituelle de l\’art de juger car l\’homme est trop complexe de nature et de fonction pour prétendre déceler facilement sa vérité et sa bonne foi.

La justice humaine doit être aussi celle qui a la crainte de Dieu et le souci de la sauvegarde du vivre-ensemble. Quand un juge est lui-même de bonne foi, il crée un champ magnétique favorable à l\’expression de la vérité par le justiciable. Pour faire confiance à la justice, c\’est depuis les commissariats de police que ça commence. Si on n\’est pas en présence du flagrant délit, la sagesse recommande de réunir les preuves pour la manifestation de la vérité par les faits et la triangulation des informations sur les faits. C\’est la pédagogie développée il y a une cinquantaine d\’années par les Jésuites en Afrique appelée la méthode VJA ou Voir – Juger – Agir. Ce qui rejoint par ailleurs la philosophie 3D enseignée dans les écoles de guerre : Dialoguer – Désamorcer – Défendre.

Ce faisant, comment peut-on garder dans des geôles pendant deux décennies des personnes qui finissent après par être innocentées? Ces erreurs judiciaires sont fréquentes avec plusieurs conséquences désastreuses : vie familiale cassée, carrière brisée et enlisement dans la désespérance. Tout le monde n\’est pas Nelson Mandela pour tout pardonner pour réconcilier Noirs, Blancs et Métis pour faire la paix. Certains, injustement incarcérés, se retournent contre l\’Etat injuste. C\’est aussi cela les vents de l\’extrémisme violent qui soufflent dans le monde. Les juges ont une lourde responsabilité sociétale sur l\’équilibre du monde.

Chaque fois qu\’une injustice est commise quelque part sa résonance s\’amplifie à travers plusieurs pays. L\’injustice fait le lit de tous les mouvements de rébellion et des terrorismes sur le continent africain.

L\’Etat qui n\’est pas impartial pour garantir un traitement équitable des territoires et de leurs habitants, c\’est lui le vrai Etat voyou. L\’Etat voyou est celui qui méprise la paix et violente par des bavures policières et militaires des innocents qui sont ensuite malmenés dans les tribunaux pour enfin aller subir un traitement d\’érosion de leur dignité dans les prisons, sortes de mouroirs où sont concentrés toutes les formes d\’insalubrités.

Oui, la prison n\’est pas un hôtel cinq étoiles, nous le savons. Pour autant, une prison déshumanisée n\’est plus un lieu de respect de la dignité, la fonction d\’une prison étant de purger une peine juste et transformatrice afin d\’être après un citoyen bien éduqué, responsable et utile à la communauté.

Par le côté bestial de tout être humain, il y a une tendance à la vengeance quand on est brimé dans ses droits. Sans une justice équitable, préventive et réparatrice, l\’Afrique risque de connaître une explosion de comportements déviants du fait de la pauvreté grandissante, des difficultés d\’adaptation aux changements climatiques, des conflits intra et intercommunautaires, le chômage des jeunes. Les juges ne doivent plus seulement rester dans les tribunaux pour condamner et délivrer, ils doivent se comporter comme des pasteurs qui évangélisent en allant éduquer les populations aux droits humains dans leurs territoires. C\’est un défi de changement de posture pour une justice de proximité préventive.

Le droit est un art sculpté mais on ne devient pas un grand juriste et juge parce qu\’on sait facilement condamner plus le pauvre et les justes que les riches et les politiciens bien placés qui ont un pouvoir d\’évaluation et de promotion sur la carrière des magistrats.

La beauté et la générosité d\’une oeuvre dépendent du comportement des personnes qui la mettent en oeuvre et de leur capacité à résister aux trafics d\’influence et à l\’attrait du gain facile. Ne souillez pas vos noms, préservez-les pour que vos enfants puissent fièrement les porter et en faire un bon usage à leur tour. Que votre nom soit votre seul orgueil et votre principal héritage.

Il faut reconstruire le parcours de la vérité et de la compassion dans le coeur des hommes.

Professeur Simon-Narcisse TOMETY